Eau : une puissance électrique : épisode • 2/3 du podcast Une économie des éléments

Le barrage du Chevril, à Tignes, en Savoie, France. ©Getty - Franck CHAREL / Contributeur
Le barrage du Chevril, à Tignes, en Savoie, France. ©Getty - Franck CHAREL / Contributeur
Le barrage du Chevril, à Tignes, en Savoie, France. ©Getty - Franck CHAREL / Contributeur
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Comment la découverte de la puissance de l’eau, génératrice d’électricité, a-t-elle bouleversé les Alpes puis le reste du territoire français au point d’entrer dans une nouvelle ère industrielle ?

Avec
  • Anne Dalmasso Professeure d’histoire contemporaine à l’université Grenoble-Alpes, membre du laboratoire interdisciplinaire Cosmethics (Université Grenoble-Alpes)
  • Hubert Bonin Professeur d'histoire économique contemporaine à l'Institut d'études politiques de Bordeaux , chercheur à l'UMR 5113 GRETHA-Université Montesquieu Bordeaux 4

Après l’ère du charbon, vient celle de la houille blanche. Mais qu’est-ce donc ? Hier nous avons parlé de l’exploitation de la terre, de ses ressources, remontant jusqu’aux origines de nos sociétés capitalistes. Si le charbon issu des sols marque l’entrée dans l’ère industrielle, une nouvelle révolution est en marche dès la seconde moitié du XIXe siècle. Notamment grâce à de nouvelles découvertes technologiques, telles que l’invention de la dynamo par le Belge Zénobe Gramme (1872), de l'ampoule électrique par Thomas Edison (1881) ou encore, dans d’autres domaines, du moteur à explosion qui permet la création de l'automobile. Des innovations boostées par le développement de l’exploitation du pétrole et ainsi que de l’électricité.

Les débuts de la houille blanche en terre alpine

La force motrice de l’eau avait déjà été découverte bien avant le XIXe siècle et était déjà utilisée dans les industries. Bien avant l’avènement de l'hydroélectricité, Aristide Bergès, fils de papetier, ingénieur de l'Ecole Centrale, faisait partie des précurseurs de cette première phase de modernisation en développant des usages d’abord hydromécaniques pour la papeterie. Anne Dalmasso, professeure d'histoire contemporaine à l’université Grenoble Alpes, précise : "Aristide Bergès a besoin de force hydromécanique pour fabriquer de la pâte de bois. Il va s'installer dans le Grésivaudan à quelques kilomètres de Grenoble, alors que lui-même est un Ariégeois. Il contribue donc à la modernisation des techniques hydromécaniques, notamment dans la conquête de ce qu'on appelle les hautes chutes. Il a surtout popularisé ce mot de houille blanche, dont il dit que c'est une métaphore de la houille, et contribue à connoter cette énergie hydromécanique puis hydroélectrique de manière très positive".

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Par ailleurs, l'énergie hydroélectrique va se développer par le biais de barrages sur des lacs d'altitude, dans les Alpes mais aussi dans les Pyrénées et le Massif central. Hubert Bonin, professeur d'histoire économique contemporaine à l'Institut d'études politiques de Bordeaux, ajoute : "dans les Pyrénées comme dans toute la France, c'est la grande loi de 1919 sur l'hydroélectricité, sur les concessions, sur le droit public et économique qui célèbre la percée institutionnelle gouvernementale et ministérielle de cette énergie".

Nationalisation de l'hydroélectricité et fièvre de la houille blanche

Au sortir de la Première Guerre mondiale, on assiste à une fièvre de la houille blanche, marquée par un élan technologique et productif qui entraîne un ample mouvement d’investissements en hydroélectricité en France. L’État prend peu à peu les rênes de l’hydroélectricité : c’est la période des grands barrages et l’avènement de l’utilisation de l’hydroélectricité pour tout le territoire. En 1945, la plupart des sites de production électrique sont nationalisés et confiés à EDF. Selon Hubert Bonin : "il s'agissait tout d'abord d'une mission politique, rendre sous le contrôle de la puissance publique, insérer dans la sphère du bien public, les sources d'énergies essentielles avec Gaz de France d'un côté et EDF de l'autre. Mais il ne faut pas oublier que très vite, la deuxième mission qui surgit, avec le premier Plan, avec la reconstruction et la guerre économique, c'est tout simplement de rationaliser, de définir des normes communes, de définir des plans d'investissement structurés au niveau interrégional, et c'est ainsi d'EDF a assumé cette mission stratégique".

Anne Dalmasso ajoute : "il y a également une logique technique à la nationalisation. En effet, unifier techniquement l'ensemble du système électrique permettait d'avoir un système qui soit plus efficace, avec une rationalisation également des investissements et qui va accompagner toute la croissance de la période d'après-guerre qui est une période de très gros investissements dans l'énergie en général et dans l'hydroélectrique, l'hydroélectricité en particulier".

Les Enjeux territoriaux
13 min

Références sonores

  • Inauguration du barrage de Tignes par le président Vincent Auriol en 1953
  • Lecture extrait de La ville noire de George Sand, 1861, par Tiphaine de Rocquigny
  • Lecture extrait de la notice de l’exposition universelle de 1889 sur la Houille Blanche par Aristide Bergès, par Tiphaine de Rocquigny
  • Extrait du documentaire “La houille blanche, histoire d’une vallée", de Alain Massonneau, 1994

Bibliographie

Anne Dalmasso : Neyrpic Grenoble : Histoire d'un pionnier de l'hydraulique mondiale (Editions Dire l'entreprise, 2009) 
Anne Dalmasso :  Alpes électriques. Paysages de la houille blanche (Editions Dire l’entreprise, 2011)
Hubert Bonin : Les concessions hydroélectriques dans le grand Sud-Ouest (Presses Universitaires du Septentrion, 2015)

Références musicales

Les cours d'eau, par Pomme
It won’t last long, par Mermonte

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